L’ARN messager et la médecine de demain

Santé L’ARN messager et la médecine de demain

L’ARN messager et la médecine de demain

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Depuis le développement de la vaccination contre la Covid-19, l’ARN messager est sous le feu des projecteurs. Cette molécule innovante suscite de nombreux espoirs, notamment dans les domaines de la prévention et du traitement des maladies infectieuses ainsi que dans la lutte contre le cancer.

Resté longtemps confidentiel, l’acide ribonucléique (ARN) messager a été révélé au grand public avec l’épidémie de Covid-19 et le déploiement de deux vaccins qui utilisent cette technologie innovante. « L’ARN messager est un intermédiaire, explique Palma Rocchi, biologiste et directrice de recherche de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) au centre de recherche en cancérologie de Marseille. C’est une photocopie d’un morceau d’ADN – cette structure en double hélice qui contient nos gènes – qui fournit la recette des protéines de nos cellules. Dans le cas du vaccin contre la Covid-19, l’ARN messager sert à fabriquer la protéine Spike du coronavirus afin que le système immunitaire apprenne à le reconnaître. Une fois que celui-ci est identifié comme un étranger, l’organisme peut produire des anticorps pour le neutraliser. »

De multiples découvertes depuis les années 1960

Même s’il est vrai que l’utilisation des vaccins à ARN messager est nouvelle, les recherches sur le sujet, elles, ne datent pas d’hier. « L’ARN messager a été découvert en 1961 par François Jacob, André Lwoff et Jacques Monod, trois chercheurs français de l’institut Pasteur, indique Palma Rocchi. Ils ont d’ailleurs reçu le prix Nobel de médecine en 1965. » Les scientifiques travaillent sur les vaccins à ARN messager depuis les années 1990. « Mais à l’époque, il y avait des freins à leur utilisation car ils provoquaient des réactions inflammatoires chez l’homme, constate la biologiste. Au début des années 2000, c’est grâce aux travaux de deux chercheurs, Katalin Kariko et Drew Weissman, que l’on a pu supprimer les effets immunogènes. Il y a eu également la découverte des vecteurs lipidiques, qui améliorent le passage à travers la membrane des cellules. C’est la combinaison de ces deux facteurs qui a permis au vaccin contre la Covid-19 de voir le jour. » Ce dernier a démontré au monde entier l’efficacité de l’ARN messager, ce qui a eu pour effet d’intéresser les « Big Pharma » et les gouvernements à ce sujet. « Jusqu’à récemment, il était difficile d’obtenir des financements pour nos recherches, mais maintenant qu’on y investit, nous pouvons avancer beaucoup plus vite », estime la directrice de recherche.

Lutter contre les maladies infectieuses

L’ARN messager est donc une véritable révolution pour la médecine de demain. Il ouvre l’espoir de pouvoir mettre au point des vaccins en quelques semaines contre de nouveaux virus ou variants, comme cela a été le cas pour la Covid-19. D’autres, dirigés contre différents agents infectieux, sont en phase de développement. Les chercheurs doivent déterminer pour chacun l’antigène susceptible de déclencher la production d’anticorps neutralisants, afin d’introduire le bon ARN messager dans les cellules du patient. Plusieurs essais cliniques sont ainsi en cours à travers le monde pour évaluer des vaccins destinés à protéger de la grippe, du virus Zika ou encore du cytomégalovirus – un virus de la même famille que celui du bouton de fièvre, de l’herpès génital ou de la varicelle. « Il y a également un vaccin à ARN messager, qui est très prometteur, contre le virus du Sida, ajoute Palma Rocchi. Il est développé par l’entreprise américaine Moderna qui a lancé les essais de phase 1, sur l’homme, au mois de janvier. »

Une solution contre les cancers

En plus de ces vaccins, l’ARN messager va permettre de développer de nouveaux médicaments, pour proposer une prise en charge personnalisée d’un grand nombre de maladies dont les cancers. « Il offre l’opportunité de cibler différents mécanismes dérégulés dans les tumeurs de chaque patient, explique Palma Rocchi. Au sein de mon équipe de recherche par exemple, nous séquençons des centaines de gènes potentiellement impliqués dans les mécanismes qui favorisent la résistance aux traitements. À terme, nous espérons cibler et administrer les ARN messagers qui codent pour différentes protéines impliquées dans le processus tumoral. » D’autres chercheurs travaillent sur une vaccination qui aurait pour objectif de stimuler l’immunité contre la tumeur. En 2002, un essai clinique a été mené sur les patients atteints d’un cancer de la prostate. Des cellules impliquées dans le fonctionnement du système immunitaire dans lesquelles un ARN messager codant pour l’antigène PSA – une protéine fabriquée par la prostate – ont été injecté aux patients. Cela a abouti à la création du vaccin Sipuleucel-T aux États-Unis. Un autre vaccin contre le mélanome, tumeur maligne de la peau, est aussi étudié. Il est destiné à améliorer l’efficacité d’un type précis de cellules, grâce à l’ARN messager, dans le but de stimuler les cellules du système immunitaire. D’autres projets encore portent sur le cancer du poumon, du rein, du pancréas, de l’ovaire, du côlon, etc.

Un pas vers la médecine personnalisée

Les chercheurs s’intéressent aussi à l’ARN messager pour traiter les maladies génétiques héréditaires comme l’hémophilie (qui correspond à l’impossibilité pour le sang de coaguler), la myopathie de Duchenne (qui provoque une dégénérescence progressive de l’ensemble des muscles de l’organisme) ou la mucoviscidose (qui se caractérise par l’épaississement des sécrétions du poumon, du pancréas, etc.). « L’objectif est notamment de restaurer l’activité d’une protéine déficiente, mais aussi de jouer sur plusieurs stratégies dans le but de réduire les symptômes de la maladie, explique la directrice de recherche. Que ce soit pour les maladies génétiques ou les cancers, l’ARN messager va permettre de développer une médecine personnalisée. On peut imaginer dans les prochaines années repositionner facilement un médicament ou adapter une molécule spécifique pour traiter un patient en particulier. »

Qu’est-ce que l’ADN ?

L’acide désoxyribonucléique (ADN) permet la synthèse d’un certain nombre de protéines. Chaque molécule d’ADN a une structure en double brin. Chaque brin est composé d’une succession de quatre nucléotides symbolisées par les lettres A (adénine), T (thymine), C (cytosine) et G (guanine). Les deux brins sont complémentaires l’un par rapport à l’autre : à chaque G sur un brin correspond un C et à chaque A, un T. Ces combinaisons, qui forment un très long message, sont organisées en environ 23 000 gènes. Chaque gène contient toutes les informations nécessaires à la production d’une protéine. Ces dernières jouent un rôle capital pour notre organisme puisqu’elles forment les muscles, les cheveux, les anticorps, les hormones ou encore les enzymes. En fonction des besoins et à tout moment, une cellule peut déclencher la production d’une protéine donnée. Pour cela, elle réalise une copie à un seul brin et à usage unique des instructions du gène : c’est ce qu’on appelle l’ARN messager. Ensuite, ce sont de véritables usines, les ribosomes, qui interviennent dans le cytoplasme, c’est-à-dire dans la partie de la cellule qui entoure le noyau. Elles traduisent les instructions et transforment les nucléotides en une chaîne d’acides aminés qui va, à son tour, constituer la protéine voulue.

Avec l’ARN messager, pas de risque pour notre matériel génétique

Avec les vaccins contre la Covid-19, certains ont craint que l’ARN messager puisse modifier le génome. « C’est faux », rassure Palma Rocchi. Avant d’ajouter : « Lorsque le vaccin est injecté, celui-ci va pénétrer uniquement le cytoplasme, la périphérie, des cellules. Il n’a pas la capacité d’intégrer le génome de la cellule. D’ailleurs, si c’était faisable, ce serait le cas pour l’ensemble de nos ARN messagers et de ceux des virus. La vaccination par ARN messager ne s’apparente donc nullement à de la thérapie génique, approche qui consiste à délivrer dans l’ADN “un gène sain” pour suppléer un gène “malade”. De plus, l’ARN est une molécule qui a une durée de vie très courte dans l’organisme ce qui rend hautement improbable le fait qu’elle s’intègre à notre génome. »

Par Léa Vandeputte, France Mutualité n°621

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